Rafles, déportations… la gestion de l’immigration, illustration du tournant autoritaire de Donald Trump ?
L’administration Trump a lancé une opération à grande échelle contre les migrants en situation irrégulière, en Californie et ailleurs, de préférence dans les États et comtés démocrates. Face au tollé, notamment, des employeurs de ces sans-papiers qui travaillent et paient des impôts, le pouvoir a légèrement reculé, mais sans changer son fusil d’épaule. Ses rodomontades, couplées à des décisions symboliques maladroites, comme la parade militaire organisée à grands frais, le 14 juin dernier, provoquent des contestations de plus en plus véhémentes.
Tout au long de l’année 2024, Donald Trump a fait campagne sur l’expulsion des « criminels, terroristes et violeurs » qui se sont installés aux États-Unis durant le mandat de Joe Biden. Dès son entrée en fonctions le 20 janvier dernier, il a promulgué plusieurs décrets sur la fin du droit du sol, les déportations/expulsions vers le Salvador ou le Soudan du Sud et l’incitation à faire du chiffre (pour la police fédérale de l’immigration – Immigration and Customs Enforcement, ICE).
Plus récemment, un décret rédigé en termes larges (et non limité à la Californie) l’autorise à fédéraliser (c’est-à-dire à placer sous son contrôle) la Garde nationale d’un État (laquelle relève du gouverneur, commandant en chef dans « son » État) en cas de rébellion contre l’autorité si l’État en question n’est pas en mesure de maintenir l’ordre public.
Cette décision doit en principe être prise par le président en concertation avec le gouverneur. En Californie, il n’en a rien été : la Garde y a été déployée contre l’avis du gouverneur de l’État Gavin Newsom, suscitant un bras de fer entre le centre fédéral et Sacramento, capitale du « Golden State ».
Les textes en jeu
Avant d’examiner les textes autorisant, dans des conditions bien précises, la fédéralisation de la Garde nationale, il convient en premier lieu de rappeler ce qui dit la Constitution en matière de partage des pouvoirs entre l’État fédéral et les États fédérés, législateurs de droit commun. Le pouvoir fédéral ne dispose que des compétences énumérées à l’article Ier section 8 de la Constitution. Cette division s’applique au Congrès et au président, en charge de l’exécution des lois. Le 10e amendement précise :
« Tous les pouvoirs qui ne sont pas accordés au pouvoir fédéral ou interdits aux États sont réservés aux États et au peuple. »
En d’autres termes, l’immigration relève du pouvoir fédéral (par le biais de la clause des pouvoirs « nécessaires » indiqués dans l’article Ier section 8), mais les actes du président ne peuvent empiéter de façon disproportionnée sur les pouvoirs et compétences du gouverneur.
Par ailleurs, la Cour suprême, dans sa jurisprudence Printz v. United States (1997), a précisé que le pouvoir fédéral ne peut donner des ordres (commandeering) aux autorités des États et les contraindre à mettre en œuvre ses politiques. Dans cette affaire, la Cour a jugé inconstitutionnelle la disposition de la loi Brady qui imposait aux shérifs de participer activement au contrôle des armes à feu prévu par la loi.
Concernant les textes spécifiquement consacrés à la Garde nationale, il a la Constitution (Article II ; section 2 ; alinéa 1) et des lois. Le texte essentiel est l’Insurrection Act (1807), qui autorise le président à mobiliser l’armée sur le territoire national si une partie de celui-ci est devenue le théâtre d’une rébellion hors de contrôle.
À ce stade, le président a envoyé en Californie la Garde nationale et les Marines mais il n’a pas (encore ?) invoqué la loi sur l’insurrection. Il a utilisé une disposition du Code des États-Unis (U.S.C. Title 10, § 12406) qui prévoit que le président peut fédéraliser la Garde nationale d’un État, ici de Californie, mais doit informer le gouverneur, les ordres devant transiter par ce dernier. Ce que n’a pas fait Donald Trump.
Gavin Newsom et son ministre de la justice ont saisi la justice fédérale dans le district Nord de Californie, invoquant l’illégalité du décret et demandant au juge de l’annuler pour abus de pouvoir, empiètement sur les pouvoirs du gouverneur et atteinte au droit de l’État en violation du 10e amendement. Les actes du président privent l’État de Californie de la possibilité de recourir à la garde nationale pour ses missions habituelles de protection des citoyens et de lutte contre les incendies par exemple.
Le juge Charles Breyer (frère de l’ancien juge à la Cour suprême Stephen Breyer) a déclaré que le décret était illégal, mais l’administration Trump a immédiatement saisi la cour d’appel du neuvième circuit (compétente en Californie) qui a suspendu l’interdiction rendue en première instance jusqu’au mardi 17 juin, date à laquelle une audience est programmée.
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Quelle signification politique ?
Le conseiller et l’âme damnée du président, Stephen Miller, veut « faire du chiffre » afin de satisfaire la base MAGA. Il voudrait faire arrêter et expulser 3 000 migrants par jour – ce qui est impossible, d’autant que la frontière avec le Mexique est quasiment fermée depuis janvier 2025. Mais peu importe : pour Miller, il s’agit de « trouver » des migrants en grand nombre à arrêter.
C’est pourquoi ses services raflent de façon indiscriminée, y compris des personnes installées aux États-Unis depuis plusieurs années, qui travaillent et qui paient des impôts. La police fédérale procède à ses rafles dans les magasins de bricolage, les lieux de recrutement à la journée, les exploitations agricoles, les restaurants sans oublier l’extérieur des tribunaux (où se rendent les migrants ayant finalement obtenu un rendez-vous en vue de la régularisation de leur statut) et la sortie des écoles. Ces opérations donnent lieu à d’innombrables scènes déchirantes de familles en pleurs. Durant le premier mandat, c’est au moment où l’administration a séparé les familles et où l’on a vu des enfants en bas âge laissés à l’abandon que l’opinion publique s’était retournée. Les sondages montrent la différence entre les chiffres d’approbation encore globalement positifs sur les objectifs de la politique d’immigration et les chiffres négatifs quant à la manière (forte) dont elle est mise en œuvre.
Les migrants et leurs défenseurs ont appris du mouvement Black Lives Matter et compris la force des images et des vidéos. Ils font circuler ces histoires de familles terrifiées lors de l’arrestation et les vidéos d’actes de violence commis par l’ICE. Mais il faut nuancer : les images de l’insurrection du 6 janvier 2021 n’empêchent pas les partisans du président de répéter qu’il s’agissait d’un jour de joie…
La blogosphère de droite fait, quant à elle, circuler les (rares mais réelles) images de violence, de voitures brûlées et de drapeaux mexicains brandis par certains manifestants, le tout en boucle sur Fox News et consorts. Il s’agit de mobiliser la base et d’accréditer l’idée que le gouverneur n’a pas la situation en main et qu’il existe une rébellion non matée contre le pouvoir fédéral.
Il serait, dès lors, légitime et nécessaire d’envoyer non seulement la Garde nationale fédéralisée mais aussi les Marines, c’est-à-dire des militaires d’active. Pour le moment, ceux-ci protègent les bâtiments fédéraux de Los Angeles. Si les militaires devaient se livrer à des opérations de maintien de l’ordre et à des arrestations, ce serait en violation de la loi Posse Comitatus (1878), et de la culture, fortement ancrée, de non-intervention de l’armée dans les affaires intérieures.
Parade militaire et manifestations anti-Trump : ce 14 juin peut-il marquer un tournant ?
Alors que la situation n’est pas réglée en Californie, que des gouverneurs républicains déploient préventivement la garde nationale et que Donald Trump a effectué une énième volte-face (sur les rafles dans la restauration et les fermes) après qu’exploitants agricoles et entreprises du secteur de la restauration lui ont expliqué qu’ils ne pouvaient fonctionner sans ces migrants, le pays a été le théâtre de plus de 2000 manifestations pendant que se déroulait dans la capitale fédérale le défilé dont le président a rêvé si longtemps.
Le samedi 14 juin, le président Trump a enfin pu faire ce qu’il souhaitait tant depuis son invitation par Emmanuel Macron à assister au défilé du 14 juillet, en 2017. Son ministre des armées de l’époque et ses conseillers l’avaient dissuadé d’organiser une « parade », si contraire à l’esprit de la Constitution et au rôle des États-Unis dans le monde. Faire montre de sa force en arborant tanks, avions et parachutistes dans la capitale, c’est la culture de la Russie et de la Corée du Nord, pas des États-Unis.
Mais Trump a tenu à célébrer le 250e anniversaire de la création de la première armée continentale des États-Unis, fondée le 14 juin 1775, après que le premier Congrès continental a refusé de le faire en 1774, craignant qu’un mauvais gouvernement puisse l’utiliser contre le peuple. Un an plus tard, le second Congrès Continental a créé l’armée nécessaire pour lutter contre les Anglais. Or, le 14 juin était aussi l’anniversaire de Trump, qui a fêté ce jour-là ses 79 ans.
Les critiques se sont élevées contre la gabegie – 45 millions de dollars alors que le budget prévoit de nombreuses coupes –, et le côté « culte de la personnalité » de l’opération. De nombreuses manifestations (2000) se sont déroulées ce même jour, réunissant plusieurs millions de personnes venues protester contre le pouvoir monarchique de Trump (mot d’ordre : « No Kings », « Pas de rois »), contre le déploiement de la Garde nationale fédéralisée à Los Angeles et contre ce grand défilé, notamment contesté de nombreux militaires qui préféreraient que les 45 millions de dollars soient utilisés pour réparer leurs baraquements et par des associations d’anciens combattants qui préféreraient que l’argent aille aux services médicaux destinés aux « vétérans » et empêcher les coupes sombres dans leur couverture médicale.
Dans le pays, il y a eu, ce 14 juin, essentiellement des manifestations contre la dérive autoritaire et les politiques migratoires de Trump et peu de mobilisations contre la situation à Gaza ou d’appels à l’abolition de la police fédérale des frontières (« Abolish ICE ») qui auraient pu nuire au message global, d’autant qu’une majorité d’Américains comprend la nécessité de l’existence de l’ICE, dans un contexte où l’on estime à quelque 11 millions de personnes le nombre de migrants en situation irrégulière vivant aux États-Unis – même s’ils peuvent réprouver la façon dont elle fonctionne.
Le risque était grand pour les démocrates de se trouver débordés par des éléments violents, la gauche du parti et les groupes pro-Palestine, ce qui aurait été instrumentalisé par le président et ses affidés. Mais tout s’est déroulé dans le calme.
Cependant, la nuit même, une élue démocrate du Minnesota était assassinée avec son mari par un individu qui avait sur lui une liste de 70 personnes – toutes démocrates ou notoirement favorables au droit à l’avortement – à éliminer et qui a également grièvement blessé un autre élu de cet État et son épouse. La violence verbale de Trump et de ses troupes se traduit de plus en plus par des attaques ou des menaces (contre les juges par exemple).
La montée de la violence politique s’ajoute aux autres dangers pour la démocratie : attaques en règle contre les contre-pouvoirs et contre la liberté d’expression (pour les ennemis de Trump), règne de l’arbitraire et corruption généralisée.
L’envoi des Marines à Los Angeles et le défilé militaire à la gloire du « leader maximo » marqueront sans doute un tournant du deuxième mandat Trump. Le sursaut ne peut venir que de la société civile… et il semble en train de se produire.

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Burimi origjinal: theconversation.com