Détricotage écologique : le grand retour de bâton

François Gemenne, Chercheur en science politique, spécialiste du climat et des migrations, HEC Paris Business School
7 min lexim
Politikë

Alors que la troisième conférence de l’ONU sur l’océan vient de s’achever, en France, les reculs sur l’écologie se multiplient : « mise en pause » des aides à la rénovation thermique, restrictions des normes d’artificialisation des sols, autorisation de pesticides dangereux, suppression des zones à faible émission. Le « backlash » (retour de bâton) concernant l’écologie est spectaculaire, au niveau politique comme dans le monde des entreprises. Pourtant, l’opinion reste favorable à des choix écologiques ambitieux. Comment l’expliquer ? Comment y remédier ? Entretien avec le politiste François Gemenne.


The Conversation : Comment analysez-vous les choix politiques faits par le gouvernement Bayrou ou par des alliances parlementaires qui rassemblent généralement le centre, la droite et l’extrême droite – mais aussi LFI – pour la suppression des zones à faibles émission ?

François Gemenne : À l’évidence, il y a une tendance de fond, et elle est très inquiétante. Ces reculs témoignent du fait qu’en France, l’engagement écologique a été contraint et pas choisi. Il s’agissait de le faire parce que les scientifiques alertaient, parce que les militants alertaient, mais nous n’avons pas réussi à faire de l’écologie un vrai projet économique, social et démocratique.

Si l’on regarde du côté de la Chine, on constate que ce pays a fait de la transition un projet moteur pour dynamiser son économie (sur les marchés de la voiture électrique, du solaire, des batteries, du nucléaire) et pour gagner en puissance sur la scène internationale. Mais les Européens regardent surtout du côté de Washington, qui se désengage. Du coup, la transition est désormais perçue comme un frein à la compétitivité ou comme un engagement « woke ».

Emmanuel Macron s’est récemment exprimé en critiquant le gouvernement Bayrou sur l’écologie. Avec la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) qui se tenait à Nice, le président de la République a affiché une ambition écologique forte. Que pensez-vous de son action et de son bilan ?

F. G. : La conférence sur les océans était un exercice de communication et de diplomatie plutôt réussi de la part d’Emmanuel Macron, même si, au plan des résultats, le bilan est relativement modeste.

La conférence a permis de glaner les derniers signataires pour le traité sur la haute mer. Il a également permis de poser frontalement le sujet de l’exploitation minière des fonds marins, sur lequel rien n’est gagné.

Pour le reste – techniques de pêche, chalutage, aires marines protégées –, il y a eu très peu d’avancées.

Concernant les critiques formulées par Emmanuel Macron envers le « détricotage » des politiques écologiques par le gouvernement Bayrou, je rappellerai que le bilan du président est loin d’être spectaculaire en la matière. Il y a eu des avancées, mais souvent modestes et loin des ambitions affichées. Par ailleurs, le président Macron a une part de responsabilité dans les reculs : c’est lui qui a demandé une « pause » dans les normes environnementales européennes en mai 2023. Enfin, critiquer un gouvernement qu’il a choisi semble un peu facile.

Quel lien faites-vous entre le recul du consensus sur l’écologie et la montée en puissance de forces réactionnaires ou d’extrême droite ?

F. G. : Pour les forces réactionnaires, la transition écologique est devenue un totem à abattre. Or, cela n’a pas toujours été le cas. Souvenons-nous du consensus qui s’était formé au moment des marches pour le climat, portées par Greta Thunberg, vers 2018. Ce consensus s’est achevé vers 2023-2024 et, désormais, l’écologie est devenue un sujet très polarisé. Pourtant, ce consensus en faveur de l’écologie reste très fort dans la population : 85 % des Français disent vouloir davantage d’action de leurs gouvernements face au changement climatique, par exemple. Le débat public amplifie donc les voix des 15 % qui veulent en finir avec la transition.

Professeur à HEC, vous rencontrez de nombreux chefs d’entreprises. Quelle est leur position dans ce contexte de recul écologique ?

F. G. : Les entreprises réagissent aux mouvements de société. Certaines entreprises ont joué le jeu d’une mode, visant de nouveaux contrats, de nouveaux clients, de nouveaux marchés, à travers l’engagement écologique. Dès lors que la transition apparaît comme moins désirable et plus clivante, elles changent de cap : elles investissent dans l’intelligence artificielle, la dernière mode du moment, en attendant la mode suivante.

D’autres entreprises maintiennent leur engagement écologique, mais n’en parlent plus, de crainte d’être accusées de « greenwashing » par des militants, ou par crainte de perdre des marchés, notamment aux États-Unis. Elles vont donc cacher leur action, comme si c’était quelque chose de honteux, laissant croire qu’il ne se passe plus rien.

Le PDG d’une très grande entreprise française de service me confiait récemment qu’il ne communiquait plus sur son engagement écologique pour protéger son marché, ou ses collaborateurs, aux États-Unis. Mais en Europe aussi, les entreprises sont prises entre deux feux. Le fait qu’une certaine gauche ait associé la transition à la « lutte des classes », par exemple, complique les choses pour embarquer les entreprises.

Au-delà des effets de mode, l’organisation actuelle des marchés permet-elle aux acteurs économiques de réellement s’engager dans la transition ?

F. G. : C’est le problème de fond. Le modèle économique ne permet pas aux entreprises d’aller au bout de leur démarche. Le bio dans l’agriculture recule, une partie de l’industrie européenne, notamment automobile ne parvient pas développer son offre électrique. Enfin, toute une série d’investissements dans la décarbonation n’ont pas vraiment été faits, et on a assisté à certaines faillites retentissantes comme celle de Northvolt. Finalement, de nombreuses entreprises qui voulaient pivoter n’ont pas réussi à trouver de vrais modèles économiques de rentabilité.

Nous avons un vrai problème de régulation macro-économique du côté des taux d’intérêt directeurs des investissements, ou dans la manière d’intégrer le coût carbone dans les productions. Tant que l’on n’intégrera pas les coûts environnementaux des biens et des services produits, la transition sera limitée.

Un exemple frappant est celui de la législation européenne sur les normes comptables CSRD qui visait à juger de la performance des entreprises à l’aune de leurs résultats sociaux et environnementaux, et plus uniquement de leurs résultats financiers. Cette législation était largement imparfaite, mais elle allait dans le sens d’une régulation structurante. Or, aujourd’hui, l’Europe recule et donne un signal terrible aux entreprises. Celles qui ont investi des millions pour anticiper cette nouvelle comptabilité vont être pénalisées au détriment de celles qui n’ont rien fait.

Comment aborder le discours écologique pour qu’il redevienne audible ?

F. G. : Il faut se débarrasser du discours écologiste culpabilisant et donneur de leçons – a fortiori si ces leçons sont données par des individus nantis qui semblent vouloir régenter la vie des pauvres.

Par ailleurs, il faut mettre en avant les bénéfices associés à la transition, assumer un discours égoïste sur ce que chacun peut gagner concrètement : moins de dépenses en carburant ou en chauffage, un meilleur confort dans les habitats, une meilleure santé pour les individus ; une plus grande compétitivité et de nouveaux marchés pour les entreprises ; moins de dépendance énergétique à des dictatures comme la Russie et plus de puissance pour l’Europe…

Il semble également pertinent de communiquer sur les risques comme le fait le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. En substance, il répète que les risques environnementaux peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la finance et sur l’économie, et qu’il est irresponsable de les ignorer. C’est un discours hyperrationnel et très pragmatique, pas du tout politique ou moral.

Enfin, un discours constructif sur l’écologie peut être associé à un nouveau projet de société. En questionnant sans cesse ses choix et en doutant de ses actions, en louvoyant, selon l’air du temps, l’Europe, comme le gouvernement français, a du mal à fixer un cap et à construire. Or, la transition représente un modèle économique porteur, mais aussi un nouvel horizon politique et démocratique.


Propos recueillis par David Bornstein.

The Conversation

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Burimi origjinal: theconversation.com

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